Le droit antérieur :
Les praticiens du droit, magistrats et avocats, ont dû s'habituer à une succession de réformes procédurales depuis celle du décret Magendie en 2009 et in fine, la loi n° 2019-222 du 23 Mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice.
La première réforme Magendie de 2009 a notablement modifié la procédure d'appel en transformant la saisine de la Cour et le suivi de la procédure en périlleux exercice d'équilibriste, jonchée de chausse-trappes, destinée à désengorger les Cours d'Appel et dès lors, a découragé même les meilleurs plaideurs.
Bien que cet objectif n'ait pas été atteint, le Gouvernement a mis en œuvre une nouvelle réforme résultant de la loi du 23 Mars 2019 et de ses décrets d'application des 11 et 19 Décembre 2019, alors passés inaperçus par les praticiens.
L'objectif de cette loi était de réformer l'organisation des juridictions civiles, cette fois, en première instance et les procédures y afférentes, avec une prétendue visée de simplification de leur saisine.
Il n'était alors plus permis à un justiciable, pour les petits litiges, de saisir les juridictions compétentes, alors les Tribunaux d'Instance, par voie d'assignation.
En effet, le décret du 11 Décembre 2019 a créé un nouvel article 750-1 du Code de Procédure Civile, reprenant en substance la loi du 23 Mars 2019, elle-même issue de la loi du 18 Novembre 2016.
Selon cet article qui était applicable à effet du 1er Janvier 2020 :
« A peine d'irrecevabilité que le Juge peut prononcer d'office, la demande en justice doit être précédée, aux choix des parties, d'une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d'une tentative de médiation, ou d'une tentative de procédure participative, lorsqu'elle tend au paiement d'une somme n'excédant pas 5.000,00 Euros, ou lorsqu'elle est relative à l'une des actions mentionnées aux articles R 211-3-4 à R 211-3-8 du Code de l'Organisation Judiciaire (contrat d'engagement maritime, dommages aux champs et cultures, aux fruits, récoltes... vente d'objets abandonnés dans les garde-meubles), ou à un trouble anormal de voisinage »
« Les parties sont dispensées de l'obligation mentionnée au premier alinéa dans les cas suivants :
« 1°) Si l'une des parties au moins sollicite l'homologation d'un accord.
« 2°) Lorsque l'exercice d'un recours préalable est imposé auprès de l'auteur de la décision.
« 3°) Si l'absence de recours à l'un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime tenant soit à l'urgence manifeste, soit aux circonstances de l'espèce rendant impossible une telle tentative ou nécessitant qu'une décision soit rendue non-contradictoirement, soit à l'indisponibilité de conciliateur de justice entraînant l'organisation de la première réunion de conciliation dans un délai manifestement excessif au regard de la nature et les enjeux du litige.
« 4°) Si le Juge ou l'Autorité Administrative doit, en application d'une disposition particulière, procéder à une tentative préalable de conciliation.
« 5°) Si le créancier a vainement engagé une procédure simplifiée de recouvrement des petites créances, conformément à l'article L 125-1 du Code des Procédures Civiles d'Exécution. »
Dans la pratique :
Si cette réforme pouvait sembler louable, afin de désengorger les Tribunaux d'Instance, puis de Proximité, évitant que le Juge soit saisi par les plaideurs pour tout et n'importe quoi, les espérances du législateur et du Gouvernement se sont heurtées à la réalité et n'ont pas donné les fruits escomptés.
Cet article 750-1 du Code de Procédure Civile a, au contraire, compliqué la tâche des justiciables de bonne foi au profit de défendeurs de parfaite mauvaise foi ; le procès étant allongé par la durée de la période de tentative de conciliation préalable sans lequel le Juge des petits litiges ne pouvait être valablement saisi.
En effet, tout d'abord, fallait-il se voir désigner un Conciliateur de justice disponible ; les délais de convocation étant très longs.
Ensuite, aucune certitude n'était donnée au justiciable de ce que cette conciliation ait des chances de prospérer et de voir ses droits reconnus.
D'ailleurs, souvent le défendeur ne comparaissait pas en conciliation et cette dernière constituait « un coup d'épée dans l'eau », se soldant par un procès-verbal de carence ; préalable indispensable à la saisine du Tribunal.
Aussi, plusieurs mois plus tard, le plaideur pouvait valablement saisir le Tribunal par voie d'assignation ou de déclaration au Greffe, en ayant perdu au moins trois mois, voire plus.
Il en allait de même des tentatives de médiation ou de procédures participatives sur le sort desquelles le plaideur n'avait aucune assurance avec allongement du temps de traitement judiciaire de son dossier.
Etant précisé que le conciliateur de justice est gratuit, alors que la médiation et la procédure participative par avocat interposé sont payantes.
Plus encore, sur le fond où était la logique d'imposer à une partie, après la naissance d'un litige, de tenter la mise en œuvre d'un mode alternatif de règlement des conflits avant d'assigner, alors que si un accord avait pu intervenir, il serait vraisemblablement déjà conclu !
Plus encore, les parties, même pendant le procès, après délivrance de l'assignation qui plante le décor judiciaire, par l'intermédiaire de leurs avocats et sur leurs conseils, peuvent conclure une transaction, après pourparlers confidentiels qui, si elle n'aboutissait pas, conservaient ce caractère de confidentialité, et ne pouvaient être évoqués dans le procès.
Il est rappelé que les échanges entre avocats sont, par nature, confidentiels, ce qui protège leurs clients respectifs.
Il en résulte que « le chemin de l'enfer étant pavé de bonnes intentions », cette réforme a eu pour conséquence de décourager des justiciables qui, pourtant, avaient impérativement besoin de recourir rapidement à la justice et de « frapper un bon coup » par voie d'assignation pour faire entendre leur voix et obtenir reconnaissance de leurs droits lésés.
Une salutaire jurisprudence du Conseil d'Etat :
Les organisations professionnelles, très conscientes du danger de cette réforme et du ralentissement du délai de traitement des petits contentieux, soit le Conseil National des Barreaux, l'Ordre des Avocats du Barreau de Paris et divers syndicats d'avocats, ont saisi le Conseil d'Etat d'un recours en excès de pouvoir pour voir annuler le décret n° 2019-1333 du 11 Décembre 2019, ci-dessus rappelé, réformant la procédure civile.
C'est ainsi que par arrêt n° 436939 du 22 Septembre 2022, le Conseil d'Etat a annulé les dispositions de ce décret et, ce faisant, celles de l'article 750-1 du Code de Procédure Civile ci-dessus énoncées et très largement décriées.
A cette fin, le Conseil d'Etat considère que « les dispositions du décret ne définissent pas de façon suffisamment précise, les modalités et le ou les délais selon lesquels cette indisponibilité du conciliateur pourrait être regardée comme établie, et relève que s'agissant d'une condition de recevabilité d'un recours juridictionnel, l'indétermination de ces critères est de nature à porter atteinte au droit d'exercer un recours effectif devant une juridiction, garanti par l'article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. »
Sur les conséquences pratiques :
Depuis lors, il n'est plus obligatoire, à peine d'irrecevabilité, que les demandes en justice visées par le texte soient précédées d'une tentative de règlement amiable du litige, et a fortiori, il n'est pas plus obligatoire d'indiquer dans les assignations à intervenir, les diligences entreprises en vue de la résolution amiable du litige ou de la justification de la dispense d'une telle tentative.
En l'espèce, toutes les actions engagées après le 22 Septembre 2022, ne seront plus soumises à ces exigences de tentative de résolution amiable et préalable du contentieux.
En conclusion :
Nous ne pouvons que nous réjouir de la sagesse éclairée du Conseil d'Etat sur le fondement de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen empreinte de logique, de bon sens, qui va permettre plus d'efficacité dans le traitement judiciaire des petits contentieux.
Heureusement, les litiges commerciaux relevant des juridictions consulaires n'avaient pas été frappés par ces textes législatifs et réglementaires et donc épargnés par ces errements.